Devenir pilote 3
Les dernières épreuves du concours sont les “psy 2” en juin. Il y a des épreuves de groupe, un entretien avec des pilotes, un psychologue ainsi qu’un enseignant en langue anglaise.
Conseil #7 : Travaillez votre nœud de cravate. Non seulement cela vous servira toute votre vie, mais cela vous évitera le stress du matin de la sélection !
Pour les entretiens de groupe, 5 à 6 places sont disposées en U. Devant nous, un jury composé de 2 pilotes et un psychologue. Chacun se présente puis cela commence avec des sujets de société. Il s’agit d’animer un débat, de recueillir un maximum d’idées puis de les présenter au jury. Thèse, anti-thèse, conclusion. Prenez des notes, sachez solliciter ceux qui parlent le moins mais aussi calmer ceux qui parlent trop.
Conseil #8 : Vous êtes observé sur votre rapport à l’autre. Comme dans les épreuves précédentes, un équilibre est recherché. Cela se rapproche de la gestion d’un équipage : savoir se faire entendre et savoir écouter les autres. Arrivez-vous à prendre en compte les idées de chacun, avez-vous l’esprit de synthèse, n’êtes vous pas trop en retrait ? Ce jour-là, vous pouvez tomber sur une équipe qui aura du mal à fonctionner comme sur une équipe qui brillera. Mais dans tous les cas, c’est ce que vous apporterez à l’équipe qui sera jugé.
Il y a ensuite un problème à résoudre. Une feuille est distribuée à chacun avec des données différentes. Il faut synthétiser les données les plus importantes pour ensuite trouver et exposer une solution. Nous avions un déménagement à gérer avec un certain volume de cartons, au 6ème étage, et une restriction d’utilisation de l’ascenseur. Certaines énigmes sont connues pour être presque insolubles. Avec beaucoup de mal nous finissons par trouver une solution mais nous nous apercevons 30 secondes avant la fin que nous n’avions pas respecté une consigne importante. Notre solution est bonne à jeter. Je me souviens encore du regard glacé de chacun des participants. La sensation de défaite à la fin du marathon malgré l’effort des 40 km. Je prends la parole pour exposer notre solution en assumant notre erreur.
Conseil #9 : Les énigmes permettent de juger votre leadership et votre capacité à la prise de décision. Quand il n’y a pas de meilleures solutions il faut quand même décider ! Si vous faites une erreur ou une violation, assumez-là, vous démontrerez votre honnêteté intellectuelle.
L’entretien avec les pilotes est l’opportunité de parler de soi. Il se peut que l’un aquiesce, et que l’autre cherche à déstabiliser, mais il n’y a pas de règle. Il faut avoir confiance en soi et ne pas se laisser déboussoler.
Conseil #10 : Pour préparer l’entretien individuel mettez-vous face à une feuille blanche et questionnez-vous sur vos motivations et votre parcours. C’est le moment ou jamais de montrer qui vous êtes. N’ayez pas de regrets sur vos échecs, ce sont eux qui vous ont amené là. Renseignez-vous également sur le déroulé de la formation, les différents centres, les différents avions. Synthétisez vos idées et construisez un discours. Il ne s’agira pas de le réciter, mais d’avoir une base solide si jamais vous êtes déconcentré.
Pour l’entretien avec le psychologue, il y a beaucoup de questions sur votre vie, vos origines, votre famille, vos amis, votre relation avec eux, vos ambitions, vos projets. La mission du psy est simplement de déceler une éventuelle « irrégularité ». Enfin, pour l’entretien d’anglais, vous recevez un sujet d’une demi page et vous avez quelques minutes pour préparer des choses à dire dessus. L’idée étant de présenter le texte et de créer une discussion sur le sujet pour interagir avec le testeur.
Conseil #11 : Pour préparer l’anglais, écoutez la radio anglaise, lisez un maximum de choses et travaillez votre vocabulaire et vos idioms. De nos jours, avec Netflix et Youtube, il y a l’embarras du choix.
Fini ! Il fait beau, il fait chaud, je peux desserrer mon nœud de cravate et reprendre l’avion pour Paris. Un mois plus tard je recevrai le courrier, je serai admis, 17ème sur 42. J’ai littéralement sauté au plafond. Puis j’ai pris le champagne avec ma famille et j’ai profité de ces jours heureux à l’approche de l’été. Malgré tout, je n’avais pas encore terminé ma 3ème année d’université. J’ai révisé à nouveau pour passer mes examens et obtenir ma licence de physique. Ce diplôme sera mon plan B si jamais les choses tournent mal en formation.
Conseil #12 : être pilote, c’est avoir un plan B en permanence, y compris dans votre vie. Même si vous misez tout sur votre passion, pensez à l’échec.
Mon entrée en formation est prévue en juillet sous réserve du résultat de la visite médicale. Nous sommes également convoqués à la DGAC pour une conférence sur notre formation. C’est une première rencontre pour tous les lauréats de 2004. Le plaisir de revoir des visages rencontrés en sélection et de s’imaginer que d’ici peu nous prendrons les commandes d’un TB20, et un jour d’un avion de ligne. Il y a 2 filles dans notre promotion, ce qui est peu. Je croise le regard de Céline, en une seconde elle renvoie un mélange d’assurance et de douceur. Stéphanie aussi montre de la confiance en elle. La confiance en soi est recherchée dans la sélection, et les filles doivent s’affirmer pour décrocher leur place dans des sélections remplies à 80% de garçons. Ça y est, ce n’est pas un rêve, nous faisons partie de la promo Enac 2004.
La visite médicale a lieu une semaine plus tard. Prise de sang, analyse d’urine, test oculaire, test auditifs. Ne me demandez pas la tolérance sur tel ou tel sujet médical, je ne suis ni médecin ni législateur. Les seules références qui peuvent répondre à vos questions sont les textes de lois régissant les aptitudes de classe 1. Même si les conditions tendent à s’assouplir avec le temps pour le civil, à ma grande surprise…je suis déclaré inapte ! Un jour vous êtes dans la bonne case, le jour d’après non. Ça ne tient à pas grand chose ! La chaleur et l’insouciance de l’été sont soudainement remplacées par un rideau de pluie intense sur mon chemin du retour. Il pleuvra pendant 2 jours. Le 3ème je me relève et je prends connaissance de la possibilité de constituer un dossier de demande de dérogation. En effet, une commission se réunit tous les 2 mois pour analyser les dossiers proches de la limite qui en font la requête, afin d’évaluer si une dérogation peut être accordée. Je contacte toutes les personnes que j’ai croisées dans l’aérien pour avoir un avis. Il y a bien quelqu’un qui a vécu la même chose ? Je retourne à Chérence. Je pars aussi à la recherche des médecins qui m’ont connu. Et je me rappelle d’un spécialiste rencontré à Paris, 8 ans auparavant. Preuve que cela ne m’avait pas gêné jusque là, j’avais oublié l’avoir consulté. Habitué à traiter de nombreux cas plus complexes et plus graves, il nous avait ri au nez. Mais aujourd’hui je n’ai qu’une semaine pour constituer mon dossier pour la commission de dérogation. Je remets mon costume et ma cravate et je retourne à l’hôpital où il consultait. A mon arrivée je me présente à l’infirmière et je lui explique mon cas. « Le docteur est très occupé aujourd’hui, je vais lui transmettre mais ce sera compliqué, il y a des gens qui souffrent vraiment vous savez ? ». Je ravale mon malheur et mon orgueil. Le médecin m’aperçoit de loin. Une heure après, l’infirmière revient : «écoutez c’est très compliqué aujourd’hui, revenez la semaine prochaine, il part sur une opération en urgence, il y en a pour plusieurs heures ». J’insiste : « Mais madame, la semaine prochaine ce sera trop tard » Elle me répond désolée : « Je ne peux rien faire pour vous ».
Alors, je me rassois, j’attends, les yeux fixés sur le mur, fixés sur l’horloge, fixés sur mon destin. L’hôpital se vide, les patients, les médecins, les infirmières le désertent peu à peu. Une personne du ménage vient me demander de partir mais j’insiste pour rester. Je m’endors sur mon siège. J’ouvre les yeux à 7h, j’ai passé la nuit dans la salle d’attente. Pas le plus confortable mais au moins je suis le premier.
Le médecin arrive avec un café à la main et me reconnaît « Quoi ?! Mais C’est vous ! Vous êtes encore là ?! Vous êtes complètement fou ! Allez, venez me voir, expliquez-moi tout. »
Après avoir consulté mon dossier et écouté ma brève explication, il saisit son stylo et écrit une lettre pour plaider la non contre indication à l’exercice du métier de pilote. « Merci docteur vous me sauvez la vie ». Il me répond : « Non, je ne vous sauve pas la vie, mais votre carrière. Des vies, j’en sauve tous les jours. Allez transportez vos passagers à l’autre bout du monde et vous m’amènerez peut-être en vacances un jour ! »
J’ai joint la lettre au dossier, puis j’ai attendu paisiblement, désormais mon destin n’était plus entre mes mains. Un mois plus tard la commission s’est réunie et j’ai reçu un appel au petit matin « Monsieur Possamai, je vous informe que vous avez été déclaré apte par dérogation ». J’ai bondi de joie à nouveau, j’ai sûrement pleuré aussi. Puis les rêves ont repris. L’Enac m’a réintégré en me décalant d’un mois, au milieu de l’été.
Il ne suffit pas de réussir le concours pour devenir pilote. Ce n’était que le début de l’aventure. Nous étions en juillet 2004, la moitié de la promo était déjà en vol, en plein bonheur. Mais un événement allait marquer cet été-là, nous ne pourrions plus jamais regarder le ciel comme avant.
Les textes de loi régissant la visite médicale : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000027199300/